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Histoires de Norvège

Les saveurs de la mer de Barents

Roi des produits de saison, le skrei, le plus savoureux des cabillauds, s’invite dans les menus à partir du mois de février.

Les saveurs de la mer de Barents

La mer nous offre des ingrédients de première qualité.

Après l’avoir cuit à basse température, Halvar Ellingsen, chef du Kvitnes Gård, dépose délicatement un filet de skrei frais d’un beau blanc nacré sur un lit de perles de sagou et de topinambour lactofermenté.

Nous voici devant un poisson de la famille du cabillaud qui doit sa puissante musculature au périple de près de 1 000 kilomètres qu’il entreprend de la mer de Barents jusqu’aux côtes norvégiennes. Le Skrei, ou cabillaud « vagabond » tire ses qualités si exceptionnelles des exploits sportifs qu’il accomplit tout au long de sa migration : un filet plus épais que celui du cabillaud norvégien pêché le reste de l’année, et une chair aussi blanche que la neige des glaciers. Le chef cuisinier nous raconte cela tout en garnissant le skrei prêt à être servi de quelques tiges brunes de truffe de mer, que l’on peut récolter sur la plage, à quelques mètres des fourneaux de Kvitnes Gård.

Halvar et Angelita s'efforcent d'utiliser les meilleurs produits de la mer.

Le SKREI arrive...

Chaque année, vers la mi-février, un vent de changement souffle sur tous les villages côtiers du nord-ouest de la Norvège septentrionale. La tension est palpable parmi ceux, de plus en plus nombreux, qui arpentent les quais et s’attardent devant les poissonneries locales. Au port, les barques de pêche sont débarrassées de leur neige pendant que les habitants de ces bourgades retiennent leur souffle.

Depuis des milliers d’années, la vie et l’activité tout au long du littoral tournent autour d’un poisson reconnu comme un champion de nage en eaux froides. "Tout commence par le crissement des bottes sur la neige. Puis, cela continue avec le vent glacé qui cingle les visages, le soleil hivernal rasant, ou encore un cri de mouette. Et finalement, le bruit des bateaux de pêche qui débarquent sur le rivage."

En matière d’alimentation naturelle, Angelita Eriksen mise sur l’alliance de la tradition et de l’innovation. "L’eau de notre mer abrite un véritable potager sous-marin et je m’efforce de sensibiliser les gens à la valeur inestimable de cette ressource."

Fille de pêcheur, elle a grandi aux Lofoten. Comme le voulait la tradition, le poisson figurait au menu de cinq repas par semaine. Elle est désormais responsable de la gestion durable de la pêche dans sa famille. Elle s’est associée à Tamara Singer, une amie aux origines japonaises, pour se lancer dans la production d’algues et de varech. 

Avec leur entreprise, qui s’appuie à la fois sur une longue tradition japonaise d’utilisation des algues dans l’alimentation et sur les meilleurs produits de la mer au monde, les deux amies ont à cœur de faire connaître toute la variété des produits alimentaires que la mer nous propose. C’est pourquoi Angelita se trouve aujourd’hui sur les rochers en contrebas du Kvitnes Gård et récolte différentes espèces d’algues qui poussent dans les eaux bleues et glacées de la mer.

"Toutes les algues sont comestibles," dit-elle. Il est important de le savoir.

Fidèles à la tradition

Pour cette même raison, nous voyons Halvar occupé à mâcher lentement du goémon noir, avant de le recracher. En matière d’alimentation, sa philosophie consiste à utiliser ce que la nature nous offre. Il insiste donc sur la nécessité de goûter les plantes de la région. Les algues ne font pas exception à la règle.

"Au Kvitnes Gård, nous savons que la nature est le véritable chef d’orchestre. C’est elle qui fixe le menu. Il nous a fallu beaucoup de temps pour parvenir à l’autosuffisance. Résultat : nous n’avons acheté aucun légume depuis juin 2020, dit-il avec une pointe de fierté dans la voix."

Tout est mariné et fermenté à la ferme. Pour Halvar, il est très important que son restaurant produise les aliments qui sont ensuite servis à ses convives. "C’est ainsi que nous concevons notre travail. Nous perpétuons les gestes des générations précédentes. Pour les hommes préhistoriques, cueillir et stocker des produits comestibles étaient des activités évidentes. En effet, ils ignoraient à quel moment ils auraient à nouveau accès à de la nourriture."

Nous nous dirigeons vers la maison blanche de 25 mètres de long, typique de la Norvège du Nord, qui abrite le restaurant depuis quatre ans. Dans le potager, nous trouvons encore du chou frisé, du chou noir et des choux de Bruxelles. Les légumes qui ne résistent pas à la rigueur de l’hiver sont stockés dans une cave récemment aménagée. Ils sont ainsi conservés à l’abri du gel, et à des niveaux constants de température et d’humidité. Céleri rave, carottes et poireaux y sont soigneusement entreposés.

L’or blanc de la mer

Kvitnes Gård ouvre ses portes à la mi-février, après la fermeture hivernale. Juste à temps pour que le skrei fasse son apparition sur la carte du restaurant. "Ici, nous proposons un skrei ultrafrais, explique Halvar. Il est pêché au large d’Andøya le matin et il est servi au restaurant le soir même." Chaque année, plusieurs milliers de tonnes de skrei sont pêchées dans les eaux glacées du nord de la Norvège. Pendant une courte période de l’hiver, le skrei fait le voyage vers son propre lieu d’éclosion, au large de la côte norvégienne, qui devient sa zone de reproduction. Puis, à l’approche du printemps, il repart vers les profondeurs de la mer de Barents, son lieu de vie habituel.

Halvar nous explique qu’il utilise l’algue et le varech pour rehausser le côté iodé du skrei. On obtient l’umami, cette saveur indescriptible d’un plat parfait. "Les algues et le varech sont encore peu utilisés dans les restaurants, ce qui en fait une matière première d’exception."

Angelita fait irruption dans la cuisine aux côtés d’Halvar. Le chef cuisinier est en train de barder un filet de skrei avec du butare, l’une des algues les plus utilisées en cuisine. "J’adore le skrei ! C’est un produit merveilleux. Nous devons garder à l’esprit que le skrei fait partie de notre identité, et qu’il est une des raisons de notre présence dans l’extrême nord de ce littoral."

Halvar approuve

Le skrei est l’un des meilleurs produits bruts de Norvège et nous en sommes extrêmement fiers, car il est tout à fait unique. Il rappelle qu’avec une telle qualité, le skrei doit rester la star de l’assiette.

"Le cuisinier doit rester humble et ne pas abuser de techniques de préparation à la mode ou d’autres ingrédients qui pourraient voler la vedette à ce poisson. C’est pourquoi j’ai tendance à utiliser le moins d’assaisonnement possible, juste un peu de sel pour raffermir la chair du poisson," explique le chef.

Dans un fjord oublié

Les chances de succès du Kvitnes Gård étaient assez minces, car l’établissement est situé dans ce que Halvar désigne comme « une partie isolée de Vesterålen ». Avant que le Kvitnes Gård devienne une destination gastronomique, la seule raison d’emprunter cette route étroite et sinueuse était de gravir la montagne locale, Møysalen, qui culmine à 1 262 mètres au-dessus du niveau de la mer.

"Pour moi qui ai grandi à une demi-heure de route d’ici, au fond du fjord,
le plus important, ce n’est pas de faire la une des plus grands journaux ou d’être sur la liste des favoris du guide Michelin chaque année. Attention, je ne dis pas que cela ne me plaît pas, au contraire ! Mais il y a une chose dont je suis très fier, c’est d’avoir contribué, alors que ce n’était pas mon intention première, à redonner vie à des maisons inhabitées et à abaisser l’âge moyen de la population locale de quelques dizaines d’années."

Deux fois par semaine, le village se retrouve sur un terrain vague pour jouer au football. L’équipe est composée de 12 joueurs. Avant Kvitnes Gård, ils n’étaient que quatre.