« Oui, au début j’avais le mal de mer. Mais c’est passé au bout d’environ trois ans de pêche », affirme Daniel Lauritzen avec un sourire en coin. À Kjøllefjord, petit village de pêcheurs situé tout au nord du comté le plus septentrional de la Norvège, Lauritzen et son partenaire Aidas Kaminskas prennent la mer pour aller poser leurs palangres pour la pêche du lendemain. Nous sommes au début du mois d’octobre, et la saison de la pêche d’automne vient juste de commencer.
Un savoir-faire efficace
C’est une drôle de saison au Finnmark ; l’année est assez avancée pour que le soleil se fasse rare, mais la neige n’est pas encore arrivée. Sur le pont du Tinder, le bateau de pêche ultramoderne de 11 mètres barré par Lauritzen (« tinder » signifie « pics montagneux » en norvégien ; rien à voir avec la célèbre application de rencontre), l’obscurité est totale. Alors que nous quittons lentement le port, les vagues glacées de la mer de Barents commencent à se faire ressentir. Très vite, le Tinder suit le rythme cadencé du roulis. Sur le pont arrière, on retrouve les palangres dont les 400 hameçons disposés par des mains expertes serviront à attirer le cabillaud, le haddock et le flétan de l’Atlantique. Peu après, le Tinder s’arrête.
Sans perdre une seconde, Lauritzen et Kaminskas se mettent au travail et placent leurs palangres avec une grande aisance. Ils reviendront relever leurs lignes dans la matinée, en remontant délicatement chaque poisson l’un après l’autre pour que leur pêche soit conforme aux normes de qualité les plus élevées. « On ne sait jamais ce qu’on va attraper », confie Lauritzen dans un sourire alors que le dernier drapeau flottant quitte le navire et flotte vers l’obscurité.
Un hobby devenu métier-passion
Comme la plupart des habitants de ces contrées nordiques, le père de Daniel Lauritzen est lui aussi pêcheur. Pourtant, rien ne prédisait que Daniel allait forcément suivre cette voie. Plus jeune, il a suivi une formation professionnelle pour devenir mécanicien automobile. Aujourd’hui, Lauritzen pêche toute l’année, sauf en été. Fidèle à plusieurs siècles de tradition norvégienne, il a choisi d’armer le Tinder exclusivement pour la pêche à la palangre. Cette méthode est généralement vue comme laborieuse et chronophage,
non sans fondement. Pourtant, les pêcheurs comme Lauritzen considèrent que cette technique de pêche a plus d’avantages que de défauts.
« Le poisson pêché à la ligne est généralement de très bonne qualité. On remonte un poisson à la fois, ce qui nous donne plus de contrôle », explique Daniel. Ses efforts ne sont pas passés inaperçus. En 2021, l’organisation norvégienne des commerçants de produits de la mer a décerné à Lauritzen le prix de Pêcheur de qualité de l’année pour son travail sans concession sur la qualité.
Il y a plus que du poisson
Pourtant, pour lui, la pêche à la palangre n’est pas qu’une question de qualité du poisson. C’est bien plus que cela. Comme ils fonctionnent toute l’année, les palangriers alimentent en continu les usines locales de transformation du poisson, une source d’emplois dans la région. En outre, en restant à proximité des côtes, les bateaux comme le Tinder ont une empreinte carbone plus faible. Les palangres permettent également de pêcher plus sélectivement les espèces voulues tout en épargnant relativement les fonds marins.
« Que dire de plus ? Ça me convient. Je ne suis pas expert en économie, mais tant que j’ai de l’agent sur mon compte, je suis satisfait », confie Lauritzen. Et vu la demande, il ne s’est pas trompé. « Il y a une forte demande en Europe pour le poisson de Norvège pêché à la ligne, en particulier le cabillaud. Même pendant la pandémie, cette demande a à peine baissé. Aidas et moi, on continuait à pêcher comme d’habitude », se souvient Lauritzen.
Un poisson après l’autre
Le lendemain matin, au point du jour, Daniel Lauritzen reprend la mer à bord du Tinder. Le vent qui soufflait la veille ne semble pas vouloir se calmer, ce qui annonce des vagues encore plus fortes dans la matinée. Il est temps de remonter les lignes posées la nuit précédente et de retourner au port le plus vite possible. Au bout de quelques minutes, Lauritzen observe les vagues devant le bateau pour essayer de repérer les drapeaux indiquant où se trouvent ses lignes.
« Voici la première », annonce-t-il d’une voix enjouée en pointant du doigt un drapeau coloré flottant à distance. Très vite, Kaminskas attrape le drapeau, le remonte rapidement à bord, et connecte la ligne au treuil électrique. « Je crois qu’il y a beaucoup de poissons », estime Lauritzen en regardant le panneau d’écholocalisation devant lui.
Tout en douceur
Quelques secondes plus tard, les premiers hameçons sortent lentement de l’océan. Près du bastingage, et sans quitter les lignes des yeux, Lauritzen dirige délicatement les prises sorties de l’eau glaciale vers les réservoirs. L’un après l’autre, les poissons émergent des flots : d’abord quelques haddocks, puis de grandes donzelles et, enfin, de beaux spécimens de cabillauds arctiques.
« Oh, la belle prise », se réjouit Lauritzen, tout sourire, en retirant délicatement le hameçon d’un poisson qu’il montre à Kaminskas. Son partenaire acquiesce et l’opération continue. Les deux hommes poursuivent leur labeur sans perdre de temps et en silence, désireux d’éviter la tempête. Rapidement, ils saignent les poissons avant de les trier dans les différents bacs remplis de glaçons pour qu’ils soient prêts à être transformés une fois le Tinder rentré au port. Le dernier hameçon remonte lentement à bord et un large flétan au ventre blanc comme neige émerge des profondeurs. Le petit équipage est manifestement ravi : cette belle matinée vient de devenir extraordinaire.
Des profondeurs aux étals
Une fois toutes les lignes remontées, le Tinder prend la direction de l’usine de transformation du poisson de Kjøllefjord, face au port. En chemin, Lauritzen prend son téléphone et appelle l’usine pour prévenir de l’arrivée imminente du Tinder avec la prise du jour. Ils le connaissent bien. Après tout, il n’a toujours livré son poisson qu’à cette usine. Depuis ses débuts en 2005, Lauritzen termine systématiquement son circuit ici. D’un ton enjoué, il annonce la prise du jour : cabillaud, haddock, donzelle et flétan de l’Atlantique. Alors que le Tinder approche peu à peu de l’usine, l’équipe se prépare à sortir la prise du bateau pour la transformer avec expertise et l’envoyer le plus rapidement possible sur les marchés européens. À l’approche du quai, Lauritzen va chercher son casque derrière un portant. Il s’arrête une seconde et regarde l’équipe de trois personnes qui l’attend, prête à manipuler des bacs de poissons sortis de l’eau moins d’une heure avant. « Je dis toujours qu’on ne livrerait jamais quelque chose qu’on ne mangerait pas avec plaisir », nous confie Lauritzen sur fond de bruits de radio alors qu’il sort sur le pont.
« Et cela n’arrive jamais, d’ailleurs. »